Les crypto-arts : L’émergence de l’art numérique et son impact sur le marché de l’art traditionnel

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Imaginez un monde où l’art ne se limite plus aux toiles et aux sculptures, mais se matérialise sous forme numérique, s’échangeant et s’appréciant via des plateformes en ligne.

Ce monde est déjà là, et il s’appelle le crypto-art.

Cette révolution artistique bouleverse actuellement le marché de l’art traditionnel, et soulève de nombreuses questions sur la valeur et la propriété des œuvres d’art à l’ère du numérique.

Il est maintenant temps de voir les facettes multiples du crypto-art, son histoire, son fonctionnement et les enjeux qu’il pose pour l’art et la société en général.

I. Qu’est-ce que le crypto-art et comment fonctionne-t-il ?

Pour comprendre le crypto-art, il faut d’abord s’intéresser à la notion de tokenisation et à la technologie qui la rend possible : la blockchain. La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations décentralisée et sécurisée. Elle permet de créer et de gérer des actifs numériques uniques et authentifiables grâce aux tokens, qui sont en quelque sorte des « jetons » numériques représentant ces actifs. Le crypto-art consiste donc à créer des œuvres d’art numériques tokenisées, rendant chaque œuvre unique et traçable sur la blockchain.

  1. La tokenisation : La tokenisation consiste à associer une œuvre d’art à un token unique et non falsifiable, qui certifie son authenticité et sa propriété. Cette démarche permet de lutter contre la contrefaçon et de faciliter les transactions entre acheteurs et vendeurs, en garantissant la traçabilité et la provenance de l’œuvre. Le token est souvent associé à un contrat intelligent, qui définit les conditions de vente et de revente de l’œuvre, notamment les royalties perçues par l’artiste à chaque transaction.
  2. Le rôle de la blockchain : La blockchain joue un rôle central dans le fonctionnement du crypto-art. Elle permet de stocker et de sécuriser les informations relatives à l’œuvre (auteur, date de création, historique de transactions…) et au token (propriétaire, prix de vente…), et garantit leur intégrité et leur transparence. La blockchain est le support des plateformes d’échange de crypto-arts, appelées places de marché, où les œuvres sont vendues et achetées sous forme de tokens.
  3. Les places de marché : Les places de marché sont des plateformes en ligne, comme SuperRare, KnownOrigin ou Nifty Gateway, qui permettent aux artistes de vendre leurs œuvres tokenisées et aux collectionneurs de les acheter. Ces plateformes sont souvent spécialisées dans un type d’art numérique particulier (images, vidéos, musiques…) et fonctionnent avec des cryptomonnaies (principalement l’Ether, la monnaie du réseau Ethereum). Elles prennent généralement une commission sur les ventes et les reventes d’œuvres.

II. L’histoire et l’évolution du crypto-art

Le crypto-art est né il y a environ une décennie, à la croisée des chemins entre l’art numérique et la technologie blockchain. Mais il a véritablement pris son envol ces dernières années, grâce à l’émergence des tokens non fongibles (NFT) et aux innovations dans le domaine des contrats intelligents. Retraçons ensemble les principales étapes de cette évolution.

  1. Les précurseurs : Les premiers jalons du crypto-art ont été posés au début des années 2010, avec l’apparition des premières œuvres d’art numériques tokenisées et des plateformes dédiées à leur vente. On peut citer par exemple ArtBlocks, un projet artistique lancé en 2014, qui proposait des œuvres numériques uniques et traçables sur la blockchain Bitcoin. Mais c’est surtout avec l’avènement de la blockchain Ethereum, en 2015, que le crypto-art a véritablement pris son essor, grâce aux possibilités offertes par les contrats intelligents.
  2. L’émergence des NFT : Les tokens non fongibles, ou NFT (pour Non-Fungible Tokens), sont des tokens qui représentent des actifs numériques uniques et indivisibles, contrairement aux tokens fongibles, qui sont interchangeables et divisibles (comme les cryptomonnaies). Les NFT ont été popularisés par des projets tels que CryptoKitties, un jeu de collection et d’élevage de chats virtuels lancé en 2017, qui a connu un succès fulgurant et a montré le potentiel des NFT pour créer des objets de collection numériques. Les NFT ont depuis été adoptés par les artistes et les places de marché du crypto-art, pour tokeniser et échanger des œuvres numériques.
  3. Les innovations dans les contrats intelligents : Les contrats intelligents sont des programmes informatiques qui permettent d’automatiser et de sécuriser des transactions et des actions sur la blockchain. Ils sont au cœur du fonctionnement du crypto-art, car ils déterminent les conditions de vente et de revente de l’œuvre, ainsi que les royalties perçues par l’artiste. Les innovations dans ce domaine, notamment sur la blockchain Ethereum, ont permis de créer des contrats intelligents de plus en plus complexes et personnalisables, offrant de nouvelles possibilités aux artistes et aux collectionneurs.

III. L’impact du crypto-art sur le marché de l’art traditionnel

Le crypto-art, bien qu’encore émergent, a déjà un impact significatif sur le marché de l’art traditionnel, en termes de chiffre d’affaires, de notoriété et de perception de la valeur artistique. Il suscite des interrogations et des débats sur les notions d’authenticité, de propriété et de conservation des œuvres d’art. Analysons ensemble les principales conséquences du crypto-art sur le monde de l’art.

  1. Un marché en pleine croissance : Le marché du crypto-art connaît une croissance exponentielle, avec des ventes qui ont atteint des sommets en 2020 et 2021. Selon un rapport de NonFungible.com, les ventes de NFT ont dépassé les 2 milliards de dollars au premier trimestre 2021, soit une augmentation de plus de 2000% par rapport au trimestre précédent. Cette croissance est notamment portée par des ventes records, comme celle de l’œuvre numérique « Everydays: The First 5000 Days » de l’artiste Beeple, vendue pour 69 millions de dollars chez Christie’s en mars 2021. Cette effervescence attire à la fois les artistes, les collectionneurs et les investisseurs, qui voient dans le crypto-art une nouvelle opportunité de diversifier leurs portefeuilles et de soutenir la création artistique numérique.
  2. Une reconnaissance accrue de l’art numérique : Le crypto-art contribue à légitimer et à valoriser l’art numérique, en lui offrant un cadre de marché et de collection comparable à celui de l’art traditionnel. Les œuvres tokenisées acquièrent ainsi une valeur économique et symbolique, qui dépasse souvent leur seule dimension esthétique ou technique. Cette reconnaissance est renforcée par la médiatisation et la démocratisation du crypto-art, qui touchent un public de plus en plus large et diversifié.
  3. Des questions d’authenticité et de propriété : La tokenisation des œuvres d’art numériques soulève des interrogations sur les notions d’authenticité et de propriété, qui sont au cœur du marché de l’art. D’une part, le token garantit l’unicité et la traçabilité de l’œuvre, mais ne prévient pas nécessairement le plagiat ou la contrefaçon, car il n’est pas lié à l’œuvre elle-même, mais à son contrat intelligent. D’autre part, la propriété d’un token ne confère pas forcément la propriété des droits d’auteur ou d’utilisation de l’œuvre, qui peuvent être cédés ou licenciés séparément. Ces questions soulèvent des enjeux juridiques et éthiques, qui sont encore largement débattus et qui devront être clarifiés pour assurer la pérennité et la confiance dans le marché du crypto-art.
  4. La conservation et la pérennité des œuvres : Le crypto-art pose la question de la conservation et de la pérennité des œuvres numériques, qui sont par nature immatérielles et dépendantes des supports technologiques sur lesquels elles sont stockées et consultées. Si la blockchain offre une certaine garantie de sécurité et de traçabilité, elle ne peut pas prévenir la disparition ou l’obsolescence des formats et des plateformes qui hébergent les œuvres. Cela soulève des défis pour les collectionneurs et les institutions culturelles, qui devront adapter leurs pratiques de conservation et d’archivage pour préserver le patrimoine artistique numérique.

IV. Les enjeux sociétaux et environnementaux du crypto-art

Enfin, le crypto-art est porteur d’enjeux sociétaux et environnementaux, qui interrogent les valeurs et les responsabilités du secteur de l’art et de la culture. Parmi ces enjeux, on peut citer la démocratisation de l’art et de la création, la rémunération des artistes, ou encore l’empreinte écologique des technologies liées au crypto-art.

  1. La démocratisation de l’art et de la création : Le crypto-art offre un potentiel de démocratisation de l’art et de la création, en facilitant l’accès aux œuvres et aux marchés pour les artistes et les collectionneurs, quel que soit leur niveau de notoriété ou de revenus. Les plateformes de crypto-art sont en effet ouvertes et décentralisées, ce qui permet de contourner les intermédiaires traditionnels (galeries, maisons de vente…) et de réduire les barrières à l’entrée. Cette démocratisation est toutefois limitée par les coûts de transaction et de tokenisation, qui peuvent être élevés et dissuasifs pour certains artistes ou acheteurs.
  2. La rémunération des artistes : Le crypto-art offre la possibilité aux artistes de toucher directement et de manière récurrente des royalties sur la vente et la revente de leurs œuvres, grâce aux contrats intelligents. Cette rémunération, qui est souvent plus avantageuse et transparente que celle offerte par le marché de l’art traditionnel, est une source d’émancipation et de motivation pour les artistes numériques, qui peuvent ainsi vivre de leur travail et bénéficier de la valeur ajoutée qu’ils créent.
  3. L’empreinte écologique du crypto-art : Le crypto-art, comme toutes les technologies basées sur la blockchain, a un impact environnemental non négligeable, en raison de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre liées au minage et aux transactions. Cet impact est particulièrement préoccupant pour les cryptomonnaies Proof-of-Work (comme l’Ether), qui nécessitent des calculs complexes et énergivores pour valider les blocs et sécuriser le réseau. Des alternatives plus vertes, comme le Proof-of-Stake ou les blockchains éco-responsables, sont en cours de développement et pourraient contribuer à réduire l’empreinte écologique du crypto-art.

Le crypto-art représente une révolution dans le monde de l’art, en bousculant les codes et les frontières de la création, de la valeur et de la propriété artistiques. Il offre des opportunités et des défis inédits pour les artistes, les collectionneurs, les institutions et la société en général, qui doivent se réinventer et s’adapter à cette nouvelle réalité numérique et décentralisée. Les enjeux économiques, culturels et environnementaux du crypto-art sont considérables et nécessitent une réflexion collective, pour concilier les aspirations créatives et les responsabilités éthiques de chacun. Le crypto-art, s’il parvient à surmonter ces défis, pourrait bien devenir un vecteur essentiel d’innovation et de diversité artistique, au service d’un art plus accessible, équitable et durable.

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